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Orphée et Eurydice, duo d’amour fatal à Garnier

Hélène Kuttner 31 mars 2018
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©Jonathan-Kellerman-ONP

Pour les adieux sur scène de la Danseuse Étoile Marie-Agnès Gillot, star sculpturale du corps de ballet, l’Opéra de Paris remet à l’affiche l’une des premières chorégraphies de Pina Bausch. Les danseurs ici sont doublés par des chanteurs et le magnifique opéra de Gluck en est transfiguré. Un superbe spectacle.

Quand la danse se double du chant

© Jonathan-Kellerman-ONP

Créé en 1975 et entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2005, le joyau musical de Gluck décrit le voyage d’Orphée qui remonte Eurydice des enfers pour tenter de la ramener à la vie et à l’amour. Peine perdue ici, car Eurydice dans cette version refuse de le suivre et il en meurt. C’est un opéra dansé totalement empreint de souffrance et de déchirures que propose la chorégraphe allemande, en faisant du héros Orphée un double de nous-mêmes, tiraillé constamment entre la vie et la mort, tentant de recoller les impossibles morceaux d’une mélancolie funeste, d’un idéal amoureux. En quatre tableaux, le deuil, la violence, la paix et la mort, il nous plonge dans les états d’une conscience intérieure plus que dans le mythe grec, mais c’est ce qui nous bouleverse.

Les derniers pas de l’Étoile

© Jonathan-Kellerman-ONP

Dans un premier tableau, envahi de danseuses ployées comme des joncs et voilées de longues robes noires transparentes, la touche de style de Pina, Marie-Agnès Gillot, tout de blanc vêtue comme une éternelle fiancée, un bouquet de roses rouges à la main, surplombe la scène, immobile et droite comme une morte dans son linceul. Saisissant tableau en noir, blanc et rouge, qui exprime dès l’entrée la douleur de la séparation des deux amants et de la mort. Ce n’est que dans le troisième tableau qu’Eurydice réapparaîtra, tout en douleur retenue, déchirante de souffrance et de désespoir, pour dire l’impossible avenir. Stéphane Bullion est cet Orphée christique, chair blanche d’un corps fragile et tout en muscle, visage d’une finesse Renaissance, qui se débat face à d’impossibles obstacles. Muriel Zusperreguy danse Amour, la face solaire du mythe, qui tente de réconcilier les amants.

Un combat désespéré et magnifique

© Jonathan-Kellerman-ONP

Rien de plus beau que ce combat amoureux qui met en jeu un idéal impossible. Déployant toutes les nuances de son art, Pina Bausch emprunte au classique ses arabesques et ses arrondis de bras avant de casser cette harmonieuse volupté par une géométrie violente, notamment dans le deuxième tableau où des jardiniers en tablier de cuir figurent le Cerbère à trois têtes au milieu des Furies. Soutenues par l’excellent Balthasar-Neumann-Chor & Ensemble, orchestre et chœur, trois chanteuses, Agata Schmidt (Orphée), Yun Jung Choi (Eurydice) et Chiara Skerath (Amour) doublent sur scène les danseurs, ombres de leur conscience, dans un perpétuel et saisissant corps à corps. Violent et sensuel, d’une esthétique radicale et bouleversante et dans une constante alternance de tradition et de modernité, le spectacle est d’une sidérante beauté, d’une totale émotion.

Hélène Kuttner

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